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               « TES MOTS NOUÉS DANS TA GORGE » (Lambeaux, Charles Juliet)

 

Je suis retournée sur les traces de mon passé
rue de l'Atlas ; le figuier, le portail vert abîmé. Dans mon souvenir, il était majestueux, infranchissable. Du haut de mes sept ou huit ans, c'était la barrière qui me séparait de ma mère.
Au dernier étage de l'immeuble, les vieux volets rouillés n'ont jamais été changés. La fenêtre de la chambre de ma sœur et moi, celle de mon frère, celles du salon, celle de la cuisine que je devine.
Je dessine dans ma tête le plan de l'appartement
des esquisses miteuses
et mon sourire disparaît
j'ai les larmes aux yeux
longtemps j'ai rêvé de retrouver les failles de mon enfance, un besoin constant de comprendre ce qui m'avait échappé – les non-dits ont fait de cette rue une prison dorée.
Presque quinze ans après je reviens – et je me demande ce qui a changé. Le temps est comme suspendu, pas de bâtiments modernes ; depuis que nous sommes parti-es, le quartier s’est figé.

Nous attendait-il ? A-t-il secrètement espéré de nous revoir un jour marcher dans les pas de ces gosses fané-es ? L’école Simón Bolívar est sensiblement restée la même d’apparence. Mais le nom de mon père n’est plus celui qui trône sur la porte d’entrée les papiers scolaires
des fragments de visages me collent à la rétine ; des gens que j’ai aimé et détesté, des inconnu-es familier-es, des figures qui marquent un temps révolu


ici, n’est plus
et tu n’es plus

toi, l’enfant – révoltée –
toi, l’enfant ravagée
gamine paumée et silencieuse avec tes yeux brillants
tu n’es plus qu’un souvenir, de douleur et d’apaisement

Le parc des Buttes-Chaumont était fermé temporairement
j’ai songé à un présage – rebrousse chemin m’a-t-il murmuré – es-tu folle de vouloir t’y risquer ?
j'ai répondu alors : tu gardes ma mémoire en otage, j’ai besoin de me souvenir pour [me] reconstruire.
Il manque des pièces à mon puzzle
Il me manque la dureté des images à laquelle j’ai besoin de me confronter pour espérer un jour respirer

une prochaine fois alors, peut-être. Rien ne presse. Il paraît qu’ici, la vie est une éternité

la prochaine fois que tu reviendras sera la bonne
je te le promets

Sur cette promesse faite à demi-mot, j’ai laissé mes larmes rouler. Suis-je encore trop faible pour affronter ? J’ai pris quelques photographies pour garder traces de mon passage, et le cœur rempli d’espoir et d’images, j’ai repris mon chemin

Je reviendrai.

Juin 2016

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